
Affiche de l’exposition, dessin de Ruppert & Mulot
Depuis le 1er juin et jusqu’au 18 septembre prochain, vous pouvez découvrir une exposition sur les 60 ans du cinéma le Brady à la médiathèque Françoise Sagan. Des visites guidées seront organisées tout l’été (toutes les infos sur l’exposition et les animations autour ici) et, pour vous permettre d’en savoir un peu plus sur cette exposition et ses coulisses, nous vous proposons une petite interview de Gilles Chétanian, le commissaire de l’exposition.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi, en quelques mots ?
Je suis caissier-projectionniste au Brady depuis 7 ans. J’ai été employé par Jean-Pierre Mocky en 2009, au même moment où il engageait Fabien Houi comme programmateur, un an et demi avant que celui-ci ne lui rachète le cinéma. Côté formation, j’ai fait les beaux-arts à Grenoble au siècle dernier et suivi un master d’histoire de l’art spécialisé dans le patrimoine cinématographique en région Centre il y a dix ans. J’ai aussi assisté, en particulier dans les années 90-2000, à beaucoup de festivals qui mont formés. C’est le cas notamment des « Repérages » à Valence (26), des rencontres de Gindou dans le Lot et d’« Il cinema ritrovato » à Bologne.
Quand as-tu choisi de travailler sur ce projet d’exposition et pourquoi ?
Cette exposition est d’abord le fruit d’un concours de circonstances où, suite à des travaux en 2014, Le Brady a dû fermer brutalement pendant trois mois alors qu’il n’aurait dû le faire que quelques jours. Dans ces situations, on a besoin de projections positives dans l’avenir, et c’est comme ça que j’ai proposé à Fabien Houi, puis à l’équipe de la médiathèque Françoise Sagan, qui nous a contactés à cette période, l’idée de fêter les soixante ans du Brady.
Ce travail est aussi né d’une envie de revanche sur la frustration de ne pas avoir réussi à rendre un mémoire de master sur les mécaniques de la programmation d’Henri Langlois à la cinémathèque française. J’avais quelques idées que je n’ai pas su transformer en travail universitaire. J’avais observé que Langlois avait deux mentors André Malraux, d’une part, dont l’influence dans son travail est connue et qui a été documenté en particulier par Dominique Païni, et d’autre part Georges-Henri Rivière, le créateur du Musée des arts et traditions populaires au bois de Boulogne, dont la trajectoire accompagne la cinémathèque française tout au long de son histoire, mais dont on a peu analysé l’influence qu’il a eue sur celle-ci.
Georges-Henri Rivière défendait une vision du patrimoine dite de sauvegarde, où l’on se préoccupe plus de maintenir une pratique en vie qu’une vision patrimoniale, dite de conservation, où l’on soustrait les objets de leur usage commun et de leur contexte d’origine pour les protéger de l’usure du temps. Son souci de maintenir une continuité culturelle — dans son cas il s’agissait des traditions populaires de la ruralité en France — au-delà des bouleversements technologiques de la société du vingtième siècle se retrouve, à mon sens, au coeur du projet de Langlois quand il crée avec Georges Franju, Jean Mitry et Paul Auguste Harlé la cinémathèque française.
Pour synthétiser, je dirai qu’il met en place un mécanisme où il s’agit de connaître le passé pour comprendre le présent afin de préparer l’avenir. C’est ce schéma que j’ai tenu modestement à appliquer à cette exposition.
Quelques mots sur la « communauté » qui gravite autour du Brady ?
Il n’y a pas de communauté spécifique qui gravite autour du Brady, plutôt différents groupes ayant des intérêts communs qui se retrouvent autour de films précis. C’est le cas de la population turque qui vient y voir en exclusivité à Paris des films populaires sortis la même semaine en Turquie, ou des amateurs de films Bollywood plutôt au profil occidental qu’indien. C’est aussi le cas des spectateurs du ciné-club le 7ème Genre qui, au-delà d’une identité LGBT, viennent réfléchir à la représentation des sexualités minoritaires à l’écran. Parmi ces niches, il y a aussi les très jeunes enfants qui assistent à leur première séance, accompagnés de leur parents ou de leur école.
Mais on pourrait presque dire que chaque film a la potentialité de générer autour de lui une communauté qui lui est propre. D’ailleurs, quand je délivre des billets à la caisse, j’ai parfois la tentation de constater la ressemblance de genre, d’âge, d’origine socio-culturelle, etc… qu’il peut y avoir entre les spectateurs qui viennent assister à tel ou tel film. Fort heureusement, il y a toujours au moins une ou deux personnes qui ne rentrent pas dans les clous et viennent empêcher la fabrique de préjugés.
Cette exposition est aussi pour nous, l’équipe actuelle, l’occasion de rencontrer des anciens spectateurs du Brady et de découvrir d’autres pratiques de la salle à des époques différentes. Jacques Thorens a magistralement ouvert le bal avec son livre « Le Brady, cinéma des damnés » (Éditions Verticales, 2015) et il nous a permis de rencontrer Laurent Savoyen qui nous a prêté des documents et mis en scène une des plus belles vitrines de l’exposition.
Beaucoup se souviennent des années où le cinéma était spécialisé dans le cinéma d’horreur. Il a été plus difficile de rencontrer des spectateurs qui fréquentaient la salle dans les années 50 quand elle n’était qu’une salle de quartier parmi les autres. C’est le cas d’Alain Henry que nous avons rencontré lors d’un conseil de quartier. Avec lui nous organisons des rencontres intergénérationnelles où nous confrontons des seniors et des enfants autour de la reconstitution d’une séance des années 50 avec courts métrages, réclames et films d’actualité qui précèdent le film principal.
Mais nous avons croisé d’autres personnes et nous espérons que l’exposition nous donnera l’occasion d’en rencontrer d’autres avec lesquelles nous aimerions, dans l’idéal, faire de nouvelles propositions.

Vitrine réalisée par Laurent Savoyen d’après ses souvenirs de spectateur au Brady
Un ou deux détails cachés dans l’exposition que tu peux dévoiler ?
J’ai voulu une exposition qui puisse se lire sur plusieurs niveaux, donc chacun devrait pouvoir trouver quelque chose qui lui parle et qui ne parle pas forcément à son voisin. Ça dépendra de son expérience, du lieu où il vit – il y a beaucoup de références au 10ème arrondissement – ou encore de sa culture ou des connaissances qu’il a des professions qui gravitent autour du cinéma.
Il y a aussi une ou deux références à mon histoire personnelle et à la ville dont je suis originaire : Romans sur Isère dans la Drôme.
Une photo d’exploitation du film « Une nuit à l’assemblée nationale » (Jean-Pierre Mocky, 1988) présente dans l’évocation d’une vitrine de cinéma à la fin des années 90 illustre bien ces différents niveaux de lecture dont je parle.
1- J’ai choisi cette image parce qu’elle vient du Brady et qu’elle témoigne du fait que Jean-Pierre Mocky utilisait ce cinéma pour présenter ses films passés.
2- Mais aussi parce que je sais que parmi les figurants qui interprètent les députés dans cette scène il y a des amateurs de cinéma bis qui fréquentent le Brady ou l’ont fréquenté pour ces films d’horreur — même si Mocky ne sait sans doute pas, à ce moment-là de sa carrière, qu’il rachètera le cinéma, 6 ans plus tard.
3- Enfin parce qu’au premier rang il y a un homme du nom de Jean Cherlian (dit Chichi) qui est un figurant professionnel, qui appartenait à la communauté arménienne de Romans dont je suis issu, et qui avait amené Jean-Pierre Mocky à la fête champêtre annuelle de cette amicale. Cet homme, je l’ai connu, et c’est grâce à lui que j’ai découvert Jean-Pierre Mocky et ses films lorsque j’étais adolescent.

Affiche du film Sur quel pied danser, de Paul Calori et Kostia Testut
Le film Sur quel pied danser est aussi là pour, au moins, trois raisons différentes :
1- C’est la seule affiche de film de l’exposition à garder sa fonction première : promouvoir un film qui n’est pas encore sorti. L’exposition a débuté le 1er juin et s’achèvera le 18 septembre 2016. Le film, lui, sortira le 6 juillet. Tout au long de l’exposition, le statut promotionnel de l’affiche va évoluer et se perdre peu à peu.
2- Un des co-réalisateurs et co-scénaristes du film, Kostia Testut, a travaillé au Brady pendant 3 ans comme caissier-projectionniste, alors qu’il bataillait pour joindre les deux bouts et trouver les financements pour son film. Il leur aura fallu 5 ans, à Paul Calori et à lui, pour trouver l’argent de ce premier long métrage. Kostia quitte le Brady en avril 2015 pour débuter le tournage deux mois plus tard.
3- Aussi incroyable que ça puisse paraître, une partie du tournage ainsi que l’action du film se passent à Romans : la ville où j’ai grandi et où vit une grande partie de ma famille ! Le film a pour cadre l’industrie de la chaussure de luxe qui a longtemps été la force de la ville, avant de péricliter et de devenir une blessure toujours vive avec la délocalisation des usines et le licenciement des ouvriers. Parce que le film est optimiste et que Kostia Testut y a une vision intelligente de la situation, j’ai une raison de plus pour vouloir le défendre avec ce moyen exceptionnel que constitue cette exposition. De toute façon, défendre les petits films en les gardant le plus longtemps possible à l’affiche fait partie de la mission inhérente au Brady d’aujourd’hui.
J’en rajouterai une quatrième :
4- L’affiche est belle et lumineuse comme l’héroïne du film.
Ton affiche ou objet préféré dans l’exposition ?
Les cahiers de cabine, car, même sortis de leur contexte et de leur époque, ils ont une patine particulière qui ouvre sur un monde auquel le spectateur n’a jamais accès.

Carnets de cabine du Brady 1980, 1981, 1986 Collection Cinémathèque de Toulouse
Ton souvenir le plus marquant au Brady ?
Il y en a plusieurs, mais je retiendrai celui où un été, il y a deux ou trois ans, j’ai demandé à des enfants de cinq ans environ qui sortaient d’une séance de films muets de Chaplin – je les entendais rire de la cabine de projection – si la séance leur avait plu. L’un d’eux m’a fait oui de la tête avec un grand sourire, et m’a dit : « C’est toi qu’as fait le film ? «