Action culturelle

Bla Bla Thé du 7 octobre 2017

Au 4e étage, ce samedi matin d’octobre, nous nous sommes retrouvés à huit pour échanger autour de nos derniers coups de cœur : Eliane, Anne, Guy, Violette, Marie-Françoise, Catherine, Sylvie et Stéphane de l’équipe de la médiathèque.

Le rendez-vous a démarré par un appel aux volontaires (qui s’adresse au plus grand nombre) : la médiathèque participant à l’événement national de la Nuit de la lecture, elle recherche des lectrices et lecteurs désireuses et désireux de lire des extraits de texte librement choisis la soirée du samedi 20 janvier. Des séances de répétition seront organisées auparavant. Renseignements et inscriptions ici : mediatheque.francoise-sagan@paris.fr

Est-ce l’influence de la thématique Russie (en ce moment à la médiathèque) ? Le rappel du centenaire de la Révolution d’octobre 1917 ? En tout cas, le tour de table s’est ouvert par des préliminaires russes, slaves et est-européens.

Catherine apprend en ce moment le russe. Elle trouve une aide précieuse dans la méthode Assimil et rappelle la qualité remarquable de la dite méthode, une des plus connues en France, qui permet d’avancer à son rythme. Catherine se demandait s’il était possible de trouver des émissions de radio russes pour s’habituer à la musicalité de la langue et développer ses connaissances. La réponse est oui.  Guy en profite pour souligner que les radios de l’Europe de l’Est (en Pologne notamment, qu’il connaît bien) proposent souvent des programmes qui n’ont rien à envier à ceux de Radio France/France Culture dont il est un auditeur régulier.

La dureté et la violence de l’histoire et de la société russes, jusqu’à notre époque même, inspirent à plusieurs de nos participants l’évocation d’œuvres qui les ont marqués ou séduits.

  • Guy cite S.O.S* de Leonid ANDREÏEV (1871-1919), quatre textes et chroniques violemment anti-communistes, écrits peu avant la mort de ce journaliste et écrivain et réédités cette année. Poignants, ils sonnent comme une mise en garde au monde.
  • Le roman Le double jeu de Juan Martinez de Manuel CHAVEZ NOGALES (1897-1944) a impressionné Violette par sa chronique des événements dont le héros, un danseur de flamenco peu concerné par la politique et dont la tournée l’amène en Russie alors en pleine révolution, est témoin. Un style journalistique pour raconter la violence terrible et diffuse d’une époque.
  • De concert, Guy et Violette, mentionnent le film Le Jeune Karl Marx de Raoul PECK qui raconte l’amitié forte, humaine et intellectuelle, entre Marx et Engels au milieu du XIXe siècle. Issus tous deux de milieux intellectuels ou aisés, ils vont tourner le dos à leurs semblables pour théoriser un système sociopolitique plus favorable aux ouvriers qui vivent alors dans d’effroyables conditions. Rien ne préfigure encore les dérives que va connaître le concept de « communisme » dans cette histoire, centrée sur la jeunesse fiévreuse, les rapports amicaux et amoureux (ceux d’Engels et d’une jeune ouvrière irlandaise en particulier) et la peinture d’hommes et de femmes progressistes.
  • Le film Faute d’amour d’Andrey ZVIAGUINTSEV se place dans un contexte russe contemporain. Prix du jury à Cannes, le film est « glaçant (voire glacial), fort, poignant » aux yeux de Guy. Il nous emmène sur la piste d’Aliocha, douze ans, qui disparaît tandis que ses parents se séparent. Seule une association de recherche des disparus semble faire cas de sa disparition au milieu de l’océan d’indifférence, d’égoïsme et de léthargie, qui baignerait la société russe selon Zviaguintsev.

Marie-Françoise a choisi de lire le livre Gabriële d’Anne et Claire BEREST après avoir écouté l’émission de Jean de Loisy sur France Culture, L’Art est la matière. Les deux arrière-petites-filles de Gabrièle Buffet-Picabia sont revenues sur le destin hors-norme de leur aïeule, musicienne, femme indépendante qui devint la muse du peintre Francis Picabia séduit par son intelligence. « Femme au cerveau érotique » elle mit tous les hommes à genoux, dont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Gabrièle guida les précurseurs de l’art abstrait, des futuristes, des Dada, toujours à la pointe des avancées artistiques. C’est un livre tentaculaire, selon Marie-Françoise, qui donne envie d’embrasser ce parcours étonnant et d’approcher tous ces hommes célèbres que l’on connaît sans doute peu.

Sylvie nous parle de Bakhita de Véronique OLMI, Prix du roman FNAC 2017 et sélectionné pour le Fémina et le Goncourt. Ce roman relate la vie de Joséphine Bakhita (1869-1949), née au Soudan dans une tribu primitive, enlevée à 7 ans par des négriers musulmans, vendue et revendue comme esclave, subissant tous les sévices inhérents à sa condition, confiée à un couvent de religieuses en Italie à 18 ans, baptisée en 1890 et, pour finir, canonisée par le pape Jean-Paul II en 2000. Sylvie a été enthousiasmée par ce roman car, loin de n’être qu’une simple biographie, c’est une œuvre romanesque pleine d’empathie et de sensibilité, qui nous donne à réfléchir sur la condition humaine et la puissance de résilience des opprimés.

Stéphane présente ensuite deux romans dont la couleur dominante n’est pas plus gaie.

  • A coups de pelle de Cynan JONES est une petite perle de roman gallois et rural, anodin en apparence, écrit dans un style épuré qui a particulièrement séduit Stéphane. Daniel est veuf après le décès accidentel de sa femme sur la ferme. Il se demande dans chacun de ses gestes quotidiens s’il a encore envie de vivre. Le Grand est gitan, en délicatesse avec la loi, il chasse les nuisibles pour vivre, quitte à revendre les blaireaux capturés à des organisateurs de combats. Plus question pour lui de retourner en prison. Leurs destins étrangers vont se croiser de façon ultime. Peu d’action dans ce texte mais une force vive, charnelle où les odeurs, les sons, les détails sont sublimés par l’écriture de Cynan Jones. C’est beau, triste mais magnifique de sentiments exacerbés : amour, solitude, tendresse, cruauté et désespoir.
  • La poudre et la cendre est le premier roman de Taylor BROWN, paru aux éditions Autrement comme l’excellent Un feu d’origine inconnue de Daniel WOODRELL. Le roman de Taylor Brown a tenu Stéphane en haleine tout au long de ses pages, en relatant la poursuite à laquelle Callum et Ava cherchent à échapper. Deux très jeunes gens pris dans le tourbillon de violence de la fin de la guerre de Sécession, dans un paysage carbonisé par les colonnes infernales du général Sherman qui ravagent la Géorgie en 1864. Pour sauver Ava dont il est tombé amoureux, Callum a trahi le gang de francs-tireurs auquel il appartenait. Ils sont sur sa piste pour le tuer, emmené par un redoutable chasseur d’hommes. Callum et Ava n’ont plus qu’eux-mêmes comme horizon. Ils vont devoir gravir des sommets de souffrance et de douleur pour s’en sortir. Un texte éprouvant avec du sang, de la sueur et des larmes, illuminé par la plume et l’humanité de son auteur.

Après cet apex sombre, nos participants évoqueront des textes et œuvres moins chargés.

Eliane partage son plaisir à lire ou relire SAINT-EXUPERY, notamment Lettre à un otage, initialement prévu pour la préface d’un roman de son meilleur ami, Léon Werth, alors réfugié dans le Jura durant l’automne 1940 du fait de ses origines juives. Son livre ne paraîtra cependant pas et l’écrivain a remanié alors considérablement sa préface en supprimant toute référence directe à son ami, qui devient alors anonyme dans le texte, et symbolise ainsi le Français « otage » de l’occupant. L’œuvre est composée de six courts chapitres, reprenant les éléments récents de la vie de l’écrivain (voyage au Portugal, évocation du Sahara, séjour aux États-Unis…), y mêlant des références à son amitié pour le dédicataire et son attachement à son pays. Pour Eliane il y a là une beauté d’écriture, « un certain miracle de ce soleil qui s’était donné tant de mal, depuis tant de millions d’années, pour aboutir, à travers nous, à la qualité d’un sourire qui était assez bien réussi ».

Anne parle de l’affection qu’elle garde pour Les vestiges du jour de Kazuo ISHIGURO, récemment distingué par le Prix Nobel de Littérature, roman adapté au cinéma par James IVORY en 1993 avec Anthony Hopkins au casting. Malgré son étrangeté (le titre n’annoncerait pas vraiment la couleur) le recueil de nouvelles Des hommes sans femmes de Haruki MURAKAMI l’a également séduite par son écriture. S’il a beaucoup été dit ailleurs sur la prose et le succès de Murakami, Sylvie précise que Kafka sur le rivage vaut vraiment le détour dans son genre.

Violette revient sur le film de Geremy JASPER, Patti Cake$, pour déplorer le peu d’enthousiasme de la critique à l’égard de ce premier film sorti l’été dernier, presque un « sabotage ». Elle a trouvé une « fraîcheur » dans ce film, « très chouette », qui propose une galerie de personnages bancals comme seuls les films indés américains savent en trouver, en nous emmenant sur les traces de Patricia Dombrowski, alias Patti Cake$, 23 ans, qui rêve de devenir la star du hip-hop, de rencontrer O-Z, son Dieu du rap et surtout de fuir sa petite ville du New Jersey et son job de serveuse dans un bar miteux.

Notre rendez-vous se termine avec Cœurs silencieux* de la Suissesse Anne BRECARD, « beau roman d’amour » selon Guy. « Quarante ans après un premier amour clandestin, Hanna retourne dans le village de son adolescence, y retrouve le génie du lieu mais aussi ce même trouble auprès de l’homme qu’elle avait aimé très jeune fille. La présence du lac et de la forêt, l’humidité qui envahit tout, l’odeur de la terre, la force du vent traversent le roman avec une puissance qui s’apparente à celle du désir. Les souvenirs d’enfance d’Hanna, de ses premières années passées dans la grande maison, remontent avec naturel. Mais dans ce lieu encore imprégné du passé, les préjugés à l’égard des sentiments qu’elle éprouve pour Jacob rejaillissent avec la même dureté que jadis.
Cœurs silencieux raconte la renaissance d’une femme, une reconquête de l’amour et du désir ». A quoi peut aboutir la force d’un amour de quarante ans ? Peut-il même aboutir ?

Ainsi se résume notre rendez-vous mensuel avec ces sympathiques participants. Merci à eux.

Prochaine édition : samedi 4 novembre à 11h (malgré les vacances scolaires). Venez nombreux.

*ouvrage non disponible dans le réseau des bibliothèques de la Ville de Paris

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