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Robinson Crusoé et ses multiples descendants : 300 ans d’histoires

Histoire de Robinson Crusoé : petit point éditorial

En avril 1719, le roman de Daniel Defoe, The Life and Strange Surprising Adventures of Robinson Crusoé est publié à Londres.

Le titre complet de l’ouvrage, traduit en français, est : La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut 28 ans sur une île déserte sur la côte de l’Amérique, près de l’embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d’un naufrage où tous périrent à l’exception de lui-même, et comment il fut délivré d’une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même. Paru anonymement, le mystère sur l’identité de l’auteur demeure et la supposée véracité du texte a contribué au véritable engouement des lecteurs.

C’est un tel succès que quatre éditions (qui sont en fait des réimpressions) sortent en quelques mois. Lors de la 4e édition, en août 1719, paraît en plus The Farther Adventures of Robinson Crusoé (Les nouvelles aventures de Robinson Crusoé). Les lecteurs s’empressent d’acheter la suite des aventures de Crusoé qui sera rééditée à deux reprises avant la fin de 1719.

De Robinson Crusoé, nous connaissons aujourd’hui le long épisode passé sur l’île déserte, pourtant l’aventure commence par le conflit entre Robinson et ses parents, qui lui souhaitent une autre carrière. Robinson va vivre un premier voyage, une capture et un esclavage, une installation en Amérique du Sud. C’est lors d’un voyage, ayant comme objectif l’achat des esclaves pour sa propriété, qu’il fait naufrage et échoue sur une ile déserte où il restera 28 ans.

Si le premier volume se finit par la « libération » du héros et son voyage de retour, le second volume propose 10 années de voyages supplémentaires autour du Globe. Dans ce nouveau volume Robinson Crusoé retourne sur son ile, y rencontre la petite colonie qu’il y a établie, participant à l’évangélisation des femmes indigènes et des marins qui vivent là. Robinson parcourt ensuite le monde, en passant par l’Asie et en remontant toute la Russie… Vendredi, fidèle à Crusoé, voyage avec lui et trouve la mort lors d’un combat en fin de récit. Robinson Crusoé reviendra chez lui en Angleterre, et termine ses lignes en se préparant au « dernier voyage ».

Ces deux volumes ont longtemps été liés, en un ou deux tomes, au fil des rééditions.             

La Vie et les aventures surprenantes de Robinson Crusoe… – Réflexions sérieuses et importantes de Robinson Crusoe… avec sa vision du monde angélique… Traduit de l’anglois (de D. Defoe), par Thémiseuil de Saint-Hyacinthe et J. Van Effen. Tome 2. 1726-1727
Provenance BNF ark:/12148/bpt6k1526159r

Profitant du succès, Daniel Defoe, toujours sous l’anonymat du nom de son héros publie en 1720 Les réflexions sérieuses durant la vie et les surprenantes aventures de Robinson Crusoé. Cet ouvrage porte en sous-titre Avec sa vision du monde angélique, et est une série d’essais sur la solitude, l’honnêteté, les voies de la Providence, la religion, et où « Robinson Crusoé » se fait philosophe.

Le lectorat populaire qui a fait le succès des deux premières parties n’apprécie guère ces dissertations politiques, morales et philosophiques. On peut penser que le premier tirage de cette troisième partie a été conséquent, mais elle ne sera pas rééditée du vivant de Defoe.

Ce troisième opus est publié en France de 1721 à 1787, avant de disparaître. On le retrouve actuellement (et depuis 1959) dans le volume de la Pléiade consacré à Daniel Defoe.

Si les trois tomes sont publiés successivement en Angleterre, les traductions sont arrivées relativement groupées en France.

Le fonds patrimonial Heure Joyeuse possède une version de ces 3 tomes, datant de 1768 : La vie et les aventures surprenantes de Robinson Crusoé contenant Son retour dans son Île, ses autres nouveaux Voyages & ses Réflexions, traduit de l’anglais par Daniel Defoe, que vous pouvez consulter via ce lien.

À cause de la confusion fréquente entre littérature populaire et littérature enfantine, et par la pratique des éditions abrégées (une première version courte paraît dès 1719, une seconde en 1722), Robinson Crusoé est entré très rapidement dans les bibliothèques adolescentes puis enfantines, pour devenir ce classique littéraire que nous connaissons.

Les principaux adaptateurs : J. J. Rousseau et  J. H. Camp

Robinson Crusoé va servir de modèle éducatif. Le roman d’aventure et de morale, (car la place de la religion est forte dans les versions d’alors) regorge de ressources et d’intérêt pour les pédagogues.

Parmi les adaptateurs, deux ont particulièrement compté : Jean-Jacques Rousseau en France, et Joachim Heinrich Camp en Allemagne.

Rousseau (né en 1712) a sûrement lu l’œuvre de Defoe entre 13 et 16 ans. Dans l‘Émile, ou de l’éducation (1760), il considère Robinson Crusoé comme un support qui permet à l’enfant d’être éduqué sur tout, avec plaisir et motivation.

 « Puisqu’il nous faut absolument des livres, il en existe un qui fournit, à mon gré, le plus heureux traité d’éducation naturelle. Ce livre sera le premier que lira mon Émile ; seul il composera durant longtemps toute sa bibliothèque, et il y tiendra toujours une place distinguée. Il sera le texte auquel tous nos entretiens sur les sciences naturelles ne serviront que de commentaire. Il servira d’épreuve durant nos progrès à l’état de notre jugement ; et, tant que notre goût ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours. Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? Est-ce Pline ? Est-ce Buffon ? Non ; c’est Robinson Crusoé.

Robinson Crusoé dans son île, seul, dépourvu de l’assistance de ses semblables et des instruments de tous les arts, pourvoyant cependant à sa subsistance, à sa conservation, et se procurant même une sorte de bien-être, voilà un objet intéressant pour tout âge, et qu’on a mille moyens de rendre agréable aux enfants. Voilà comment nous réalisons l’île déserte qui me servait d’abord de comparaison. Cet état n’est pas, j’en conviens, celui de l’homme social ; vraisemblablement il ne doit pas être celui d’Émile : mais c’est sur ce même état qu’il doit apprécier tous les autres. Le plus sûr moyen de s’élever au-dessus des préjugés et d’ordonner ses jugements sur les vrais rapports des choses, est de se mettre à la place d’un homme isolé, et de juger de tout comme cet homme en doit juger lui-même, eu égard à sa propre utilité. »

L’Émile de J. J. Rousseau

Rousseau propose également des adaptations à apporter au roman de Defoe.

Dans l’œuvre originale, Robinson, personnage censé découvrir tout de l’île rencontre des « espèces de fougères », des « sorte des chèvres ». Quant à J. J. Rousseau, il souhaiterait que le lecteur puisse apprendre les véritables noms des plantes.

Il faut de plus « le débarrasser de tout son fatras » pour permette à Émile de jouer à être Robinson, et d’apprendre en explorant.  « Je veux que la tête lui en tourne, qu’il s’occupe sans cesse de son château, de ses chèvres (…), qu’il apprenne en détail et non des livres mais sur les choses tout ce qu’il faut apprendre en pareil cas (…) » (Livre III)

Les consignes et les idées d’amélioration du texte proposées par J. J. Rousseau donneront l’idée de nombreuses versions et adaptations. Rousseau recommande par exemple de commencer le récit au naufrage et à l’arrivée sur l’ile déserte, et de finir le texte par le départ de Robinson. Il s’agit de la version que la plupart d’entre nous connaissons.

On trouvera par exemple : l’Histoire corrigée de Robinson Crusoé (d’après D. Defoe) dans son ile déserte. Ouvrage rendu propre à l’instruction de la jeunesse sur le plan de J.-J. Rousseau (Aubry, An III)

Ou encore Robinson de Jean-Jacques Rousseau ou Aventures de Robinson Crusoë, (sans date) consultable dans nos collections.

L’introduction de cet ouvrage est particulièrement intéressante car elle explique et justifie toutes les modifications apportées au texte de Defoe.

Disciple de Rousseau, le pédagogue allemand Joachim Heinrich Campe (1746-1818), publie en 1779 Robinson der Jügere. Il est traduit en français la même année sous le titre : Le nouveau Robinson pour servir à l’amusement et à l’instruction des enfans de l’un et de l’autre sexe.

Cette adaptation, réalisée sous forme de dialogue entre un père et ses enfants, obtient un succès considérable – plus de cent éditions en un siècle – comptant aujourd’hui parmi les livres pour enfants les plus populaires jamais écrits en allemand.  

Dans cette version, l’auditoire enfantin interrompt souvent le père-narrateur pour éclaircir du vocabulaire, ou obtenir des réponses sur les actions ou sentiments du héros. Le père va également fournir des explications techniques ou géographiques. Les chapitres sont découpés en « soirées » de lecture du père aux enfants.


Dans ce texte, l’aventure change également : Crusoé se retrouve initialement démuni de ressources. L’arrivée de Vendredi apporte les bienfaits de la vie en société « Malgré la supériorité de Robinson sur le jeune sauvage, celui-ci savait une foule de choses que son maitre ignorait »et les deux hommes trouvent ensuite un navire échoué à proximité, contenant ce qui leur manquait. Cela rétablit la suprématie technologique de Robinson sur Vendredi.On le trouve également sous le nom de Robinson Allemand.

Vous pouvez le lire en ligne sur Gallica, ou le consulter dans nos collections

Fa in8 2935 et 2936 Le nouveau Robinson pour servir à l’amusement et à l’instruction des enfans de l’un et de l’autre sexe (1833)

https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0002265434.locale=fr

 Le Robinson allemand, traduit de Campe par Ch. Wolfers. 1853
Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art
ark:/12148/bpt6k5470175z


Et dans nos collections, à cette adresse.

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